Texte sur SOPHIE HAWKES, les Eaux imaginaires

Les dernières toiles de Sophie Hawkes témoignent de son exploration artistique dans ce qu'elle a de plus profond et de plus affiné, depuis longtemps au centre de son œuvre au point qu'on peut y voir ce qui la motive en priorité, comme en attestent les titres qu'elle donne à ses tableaux. C'est une quête pour amener une forme à émerger de ce qui n'a pas de forme.

 

Quel moyen ce que nous reconnaissons comme forme, proportion ou harmonie, trouve-t-elle pour s'enraciner et lutter contre l’informe, le chaos et l’obscurité, contre ce qui ne peut être configuré d’aucune façon pour la raison qu’il n'appartient à aucune figure ?

 

En terme d'esthétique, ce défi peut être rapporté à la source où figuration et abstraction entrent en tension dans les paysages de Sophie Hawkes.

 

Tant inspirée par ce qui se voit ou s'imagine que par ce qui ce voit ET s'imagine, la peinture de paysage est tout à la fois « réelle » et étrange, figurative et abstraite, concrète et spirituelle ; une représentation de l'espace et du temps conforme à notre monde, mais aussi d'un monde transcendantal dont l'architecture spatio-temporelle ne peut être suggérée que par la rencontre du spectateur et de la toile dans « l'ici et maintenant » de la contemplation.

 

Le monde artistique de Sophie Hawkes émerge visiblement des ténèbres pour devenir lumière. Ce processus fait ressortir un drame intense par la superposition des surfaces fortement travaillées sur la toile et les traces au couteau. Nous voyons cette lumière issue des ténèbres se métamorphoser en roche et en eau, en ciel et en terre, puis de nouveau en lumière, en obscurité.

 

On en a un exemple dans « Marshlands 4 » où le regard du peintre-rêveur, fixé sur un espace qui s'éloigne, évoque ou donne jour (De nombreuses œuvres de Hawkes dans cet ensemble suggèrent un retour en force d'Eros) à une rivière ou un canal laiteux qui laissent place à des nuages nés de la lumière et qui se réfléchissent dans la lumière des nuages,​ au-dessus.

 

Ces formes lactescentes s'ancrent grâce au réseau formé par les arbres, les broussailles ou les tiges de la terre – la matière elle-même – qui devient ici le médium d'un mystère. Que voyons-nous en contemplant ces œuvres de lumière et d’obscurité, ce monde étranger et familier ? S’agit-il de paysages naturels ou de paysage intérieurs ? Corps ou âme ? Forme ou chaos ? Désir ou mort ?

Ce que l’on voit souvent dans le retentissant silence de ces toiles, c’est une ouverture sur le ciel, la terre et l’eau, révélée par la lumière. En îlots de couleurs. Le témoignage d'un moment précieux, et peut-être sacré, d'une vision dont l'art s'empare pour l'imaginer et l'édifier. Ici, le culte de la forme humaine, abjuré par l'art abstrait pur et par Sophie Hawkes, ne cède pas la place aux seules harmonies rassurantes de la géométrie mais à une spiritualisation et une émotionnalisation du paysage lui-même.

(Thomas Epstein, traduction de l'anglais par Bernard Sintès-Pivot)

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